Retrouvailles avec le Danube
Mardi 7 mai 2013
Lever à 6h. N'ayant pas eu le temps hier soir de peaufiner mon itinéraire sur Internet vu que je discutais, je m'y attèle ce matin. Je sors ensuite acheter mon pique-nique de midi chez Mercator, première entorse à mon "sponsor" qui sera suivie de tant d'autres. Après tout le lien n'est que dans un sens ... Depuis l'Autriche, je constate un rythme de vie décalé avec un soleil se levant à 5h et des commerces ouvrant à 7h. Personnellement, cela me convient parfaitement.
Je prends ensuite le chemin de la gare sous un léger crachin. Le train de 8h15 m'emmènera sur Belgrade, ville que l'on m'avait tant vantée lors de mon précédent passage il y a deux ans. Le nom de ce train est la "Perle des Alpes", plutôt poétique mais étrange quand la majeure partie de son parcours les laisse derrière lui. Sur le quai, un allemand m'aborde. Il est originaire de Nuremberg et réalise également une boucle grâce à ce moyen de locomotion qu'il adore. Alors qu'il se lance dans la description de son parcours, il ne manque pas de me préciser avec humour qu'il connaît parfaitement les musées de la petite capitale slovène étant donné que, sur les 3 jours qu'il a passés sur place, il a plu en permanence. Il évoque ensuite ma région qu'il connaît encore mieux que le brésilien d'hier soir. Décidément ...
Surprise de taille à l'arrivée du train : j'ai une réservation de 1ère classe alors que mon pass est uniquement valable en 2nde. Encore un prodige de la SNCF et de ses "idées d'avance". On devrait préciser "intelligentes" après "idées". Les contrôleurs slovènes se montrent conciliants mais il reste 2 frontières à franchir et autant de contrôles par des agents des compagnies locales. Je verrai bien ...
Le confort n'est pas aussi important que dans la première d'autres pays -classe que je ne fréquente jamais- : un seul compartiment sans cloison pour limiter le volume sonore, des sièges à peine plus larges que la normale ...
Dehors, nous longeons une rivière encore embrumée au raz de l'eau qui, comme nous, emprunte un couloir entre deux montagnes. De temps en temps, une cimenterie rompt le charme. Elles m'avaient déjà choqué il y a deux ans. Après les dégâts infligés à Graz en l'espace de seulement 6 ans par les troupes de Napoléon, les firmes tricolores portent désormais atteinte à l'environnement lui-même. Au temps des Grandes Invasions, les ravages étaient causés par les peuplades de l'est. De nos jours, les "vandales" déferlent de l'ouest, toujours à la recherche de richesses matérielles.
10h. Dobova, la frontière. La douane slovène monte à bord et vérifie les papiers. Nous quittons Schengen, l'espace européen de libre circulation. Un élève d'un groupe scolaire a semble-t-il oublié son passeport à l'hôtel. Après plus d'un quart d'heure de négociations, le passage lui est refusé et il est débarqué en compagnie d'une de ses professeurs. Dans le règlement de l'imbroglio, le train a pris du retard.
Nous repartons. Second arrêt 5 minutes plus tard. Cette fois-ci ce sont les douaniers croates qui vérifient nos documents d'identité avant de nous apposer un tampon.
Passé Zagreb, c'est pour moi la nouveauté ferroviaire de cette journée. Le paysage est cependant décevant car des champs se succèdent sans cesse. Pas de beaux champs de céréales ondoyant sous une brise légère, juste des terres labourées ou jonchées d'herbes hautes. L'horizon est en outre désespérément plat et le regard peine ainsi à s'accrocher à un détail. Seuls un troupeau de cervidés et quelques faisans permettront d'échapper le temps d'un instant à cette vérité. Pour le reste, je me plonge dans mes guides ou mon carnet de voyage. Tandis que je m'absente quelques minutes pour me brosser les dents après déjeuner, je me fais chiper ma place. Je recadre avec courtoisie le malotru. Waouh l'ambiance de folie !
Pour la troisième puis quatrième fois de la journée, le wagon ressort de cette douce léthargie. Il est 15h et nous sortons de Croatie. Nouveau tampon. C'est bon je fais toujours bonne figure. Avec toutes ces frontières que je vais franchir dans les prochains jours, mon passeport devrait se remplir rapidement ... Les serbes prennent le relais de l'autre côté, dans la gare de Sid. C'est reparti, roulez jeunesse !!!
L'entrée à Belgrade se matérialise pour moi sous la forme d'un pont à haubans bien que nous soyons déjà entrés dans la banlieue tentaculaire depuis une poignée de minutes. Nous arrivons à l'heure, ce qui est impressionnant au vu de la distance couverte par ce train depuis Zurich et les nombreux obstacles administratifs sur le trajet. La gare est également surprenante par ses dimensions réduites : presque une gare de province. Les quais sont désespérément vides avec des mauvaises herbes poussant entre les rails et laissant un sentiment d'abandon partiel.
Ce constat peut s'expliquer par le fait que je rentre dans une partie de mon périple où le train s'efface au profit du bus de ligne. A la sortie de la gare, je me rends d'emblée dans l'immense gare routière voisine pour acheter mon billet du lendemain. Ce sésame en poche, je passe à l'hôtel déposer le sac. Il était temps que j'arrive car il est à peine plus de 17h et que la réceptionniste s'en va. Oui, oui je suis bien dans un hôtel. Mais alors pourquoi ne reste-t-il pas ouvert le soir quand les clients sont susceptibles d'arriver ? Autre curiosité : l'hôtel n'ouvre qu'à 10h. Demain, je pars à 8h. Vraiment, je suis un sacré trublion ! La réceptionniste me remet -toujours avec le sourire- une clé pour que je puisse circuler à ma guise. Une autre personne au rôle encore floue traine là et va rester. Un "surveillant" ?
L'intérêt principal étant dehors, je sors illico pour 4h de visite. Sur la première rue que j'emprunte tous les édifices présentent des façades travaillées aux styles des plus éclectiques et aux fonctions tout aussi diversifiées : commerces, habitations, lieux culturels ou sièges politiques. Un de mes guides bulgares de début d'année parlerait de "ratatouille" pour qualifier cet ensemble.
Depuis mon départ de l'auberge, je me dirige droit sur la cathédrale Ste Sava, un des monuments de référence de la capitale. A ses abords, je prends des photos lorsqu'une russe de mon âge m'interpelle : "Hey, tu as vu la vieille voiture comme elle est curieuse ?". Elle joint le geste à la parole en pointant le doigt vers quelques places de stationnement. Je tourne les yeux dans cette direction mais ne vois rien de spécial. Peut-être la jaune aux angles un peu "cassés" ? Je lui demande confirmation mais ça n'est pas la bonne. Elle me demande donc de la suivre quelques pas et me montre la voiture d'à-côté : une 2CV ! Je lui explique que la voiture est originaire de mon pays et qu'à Paris on balade les touristes dedans donc qu'elle n'a rien de trop curieuse pour moi. Nous en profitons pour nous prendre à tour de rôle devant l'édifice religieux avant de nous séparer.
La configuration des lieux est trompeuse : la cathédrale a en réalité peu de charme car son intérieur est en réfection et ses murs sont à nus. Du béton pour seul ornement. Cachée par une poignée d'arbres, l'église Ste Sava est quant à elle de bien plus grand intérêt. Ses dimensions sont réduites mais j'y retrouve la décoration et l'agencement habituels des lieux de culte orthodoxe : icônes et fresques sur les parois, iconostase permettant de passer du profane au sacré ...
Je reprends ma progression sur de longues avenues en direction de l'ouest à présent. Elles me mènent dans un premier temps à un parc boisé qui s'ouvre au nord sur une place où s'élève le Parlement. Un peu plus loin, la place de la République est fortement fréquentée pour la proximité de ses restaurants à cette heure.
Ma traversée de la ville s'achève en atteignant la forteresse de Kamelegdan. Celle-ci est perchée sur une pointe à la confluence de la Save (venue tout droit de Slovénie comme moi) et du Danube. Pour accéder à cette esplanade, je franchis des murailles d'abord de pierres puis végétales. Le site est très agréable et nombre d'habitants viennent profiter là des dernières heures de la journée. Depuis ce balcon aménagé, je vois au premier plan quelques vestiges, plus loin le quartier de Novi Beograd constitué de "blocks" et le pont à haubans qui m'a accueilli voici quelques heures.
Je retourne ensuite à l'hôtel par les cathédrales orthodoxe et catholique, par des rues commerçantes bondées d'une jeunesse avide de divertissement et par le palais d'une princesse. Dans l'auberge, je retrouve mon drôle d'acolyte qui est relativement volubile, évoquant tour à tour son quotidien, la crise économique et la pauvreté de la programmation à la télévision (films d'origine russe ou chinoise mais rarement serbe faute de budget suffisant pour la Culture). Passe justement sur le petit écran un match de tennis avec une idole du pays : Djokovic. Comme il est en train de se prendre une raclée, je n'aborde pas le sujet et détourne la conversation sur les lieux à voir en Serbie. Il m'évoque la ville historique de Nis ou le monastère de Studenica qui figurait un temps à mon parcours. Je l'avais abandonné car, isolé en pleine montagne, il n'est pas facile d'accès sans voiture.
Alors que je me pars me coucher, un second larron - le "Puant" - débarque de nulle part et s'installe dans ma chambre. Entre la sonnerie répétitive de son portable et ce satané moustique qui m'asticote, ce n'est pas ma meilleure nuit ...