Un accueil exceptionnel
Mercredi 8 mai 2013
La nuit est pénible de bout en bout. Le Puant se lève tôt à grand renfort de sonneries de portable. Si je ne craignais d'attraper une mycose des doigts en le touchant, je le mettrais dehors sans ménagement. En outre, quelqu'un tape avec insistance à la porte pendant plus de 20 minutes. Bien que j'aie la clé, je n'ai pas envie de prendre la responsabilité d'ouvrir. Aussi, je laisse l'inconnu tambouriner à n'en plus pouvoir. Celui-ci s'en va. J'ouvre au Puant. L'avantage c'est que je respire bien mieux à présent.
J'ai un temps hésité avant de partir sur mon programme pour les prochains jours. Au début, je voulais passer une seconde journée en Serbie à Studenica ou à Ovcar Kablar (dont je vais reparler plus loin) puis prendre un train de nuit pour le Monténégro voisin. Cependant, Google Maps m'a permis de me rendre compte que la randonnée que j'envisageais était impossible car des tunnels routiers barraient mon chemin. J'ai alors décidé de rallier un endroit majeur du Monténégro : le Parc National du Durmitor. C'est ma destination pour aujourd'hui.
A la gare routière, je commence par échanger les dinars serbes qu'il me reste car je vais quitter le pays et n'en ai plus besoin. Par une chance incroyable, il me reste deux pièces dans la monnaie locale. Le billet pour Zabljak où je me rends me revient à 1970 RSD soit 18€. Ce que je ne savais pas quand je l'ai acheté hier, c'est qu'il est normalement délivré avec un jeton pour pouvoir accéder aux quais d'embarquement des bus, jeton que je n'ai bien sûr pas eu. Je me retrouve donc devant une grille et deux gorilles qui ont encore moins de neurones (c'est possible ?) me barrant l'accès à la zone où je dois aller. Aucune négociation possible, il faut un truc rond à leur remettre. Je suis sur le point d'aller régler mes comptes avec le guichetier façon "il était une fois dans l'ouest" quand je remets la main sur mes deux pièces serbes. Le sésame qui me permettra de sortir de l'embûche. Petite précision pour les voyageurs éventuels dans cette zone : tous les bus nécessitent de payer directement au chauffeur une taxe additionnelle d'1€ par bagage en soute.
8h. C'est parti en direction de Kraljevo au Crna Gora, l'autre nom du Monténégro. Autant le parcours d'hier n'avait pas grand intérêt, autant celui d'aujourd'hui est captivant. La route commence par l'itinéraire des monastères et descend sur Čačak. Le cadre est -comme hier- champêtre mais avec un beau paysage qui se fait de plus en plus vallonné. Il y a même des clins d'oeil qui me permettent d'apprécier l'humour serbe.
A partir de la ville de Čačak, le repérage que je viens de mentionner au sujet de Google Maps conduit à une situation étrange : je me sens comme chez moi. Je n'ai jamais été en Serbie mais j'arrive à mettre un nom sur les localités traversées, à anticiper les directions que va prendre le bus, à reconnaître la configuration d'Ovcar Kablar que j'ai dû délaisser à cause des tunnels... Le plan 2D vu du ciel sur mon PC prend vie et je m'y repère à merveille.
Ovcar Kablar est un site naturel spécial dans la mesure où la rivière locale décrit une double boucle en forme de "S" au milieu de montagnes élevées. Pour apprécier cette curiosité naturelle, il faut prendre de la hauteur car, si on n'est pas au courant de cette spécificité, on peut passer à côté sans s'en rendre compte. De belles randonnées traversent la zone qui est constellée de monastères traditionnels, mais il faut une voiture pour y accéder. Dans tous les cas, je suis ravi de pouvoir contempler cet endroit que j'avais finalement écarté et considère cette chance comme un bonus.
Les vallons se font progressivement montagnes. L'environnement est vraiment très beau avec beaucoup de forêts, le canyon d'Usice, des montagnes russes, des couloirs routiers au milieu du relief, des lacs de retenue ... Au sommet d'un col, le bus s'arrête 30 minutes pour que les passagers qui le souhaitent se restaurent. J'avale mon pique-nique avant de profiter d'un petit chiot malicieux et du paysage charmant.
A l'approche de la zone frontière, les mosquées font leur apparition, héritage de la présence ottomane. Une nouvelle pièce se rajoute à mon patchwork. Non loin de là, double passage par la case "douane". Côté serbe : je n'ai pas de visa de sortie ce qui fait qu'officiellement je suis encore dans le pays ... Côté monténégrin : tampon d'entrée (ouf !) par contre je suis contraint de descendre du bus pour ouvrir mon sursac. Je suis le seul passager concerné. Le passage d'un étranger est-il si rare qu'il éveille les soupçons ?
La pluie tombe en trombes. A travers les vitres légèrement embuées apparaît une immense mine à ciel ouvert d'au moins un kilomètre de diamètre. Longue descente vers une grande ville où le bus se vide un peu plus. Au fond, les montagnes sont couvertes de neige : c'est le Parc National du Durmitor. Signe que j'approche d'un lieu injustement méconnu : le canyon de la Tara. Il s'agit d'un des canyons les plus profonds au monde et le plus profond d'Europe : 80 km de long, plus de 1000 mètres de dénivelé à certains endroits ! Malheureusement, la météo capricieuse ne me permet pas d'avoir une vue optimale, tout au plus un aperçu trop bref. Le bus va descendre pendant plus d'une dizaine de minutes jusqu'à un viaduc de type Eiffel qui va permettre de franchir cet obstacle naturel. Très loin en contrebas, une rivière s'écoule paisiblement. La remontée va s'étirer sur au moins 10 kilomètres. Zabljak n'est plus très loin ...
A l'arrivée du bus, j'ai l'agréable surprise d'être attendu par Alex, le propriétaire de la guesthouse "Hostel Hikers Den" où je vais passer la nuit. Du fait des intempéries, il est venu me récupérer ainsi que Sarah, une jeune canadienne de 21 ans avec qui je vais partager le dortoir. Comme elle est québécoise, nous sympathisons rapidement en français dans le texte. A l'auberge, nous retrouvons la petite amie d'Alex, Gina, une australienne venue vivre l'aventure ici. "Aventure" car ils ont ouvert leur guesthouse il y a tout juste deux jours après plusieurs mois de travaux et qu'elle a tout laissé tomber sur l'île-continent pour tenter cette expérience pendant 6 mois pour commencer. Tous deux ont approximativement 30 ans et sont d'un abord extrêmement chaleureux. A cette petite compagnie se joignent une heure plus tard deux finlandais d'Helsinki très rigolos. Toute sortie étant inenvisageable, nous restons ensemble jusqu'à 23h à faire connaissance, discuter et plaisanter. Il est curieux de constater que nous avons tous le même parcours dans les Balkans bien que mes trois compagnons accomplissent la boucle en sens inverse. Nous pouvons ainsi échanger trucs et astuces pour les prochains jours. Les deux hommes se déplacent avec une voiture de location ce qui leur offre une précieuse autonomie tandis que la jeune femme opte exclusivement pour les bus.
A l'heure du diner, Alex propose de faire goûter l'alcool local le "rakia" à base de prunes dans ce cas, de raisins parfois. Le breuvage est si fort que Sarah capitule vite tandis que les Finlandais semblent apprécier. Cumulé à quelques bières et une bouteille de vin, ils finiront assommés après notre coucher. De mon côté, je n'ai pas ce problème puisque je ne bois pas. Gina, nous offre ensuite une partie du plat qu'elle a préparé. Nous nous sentons presque comme à la maison. Le repas avalé, nous en apprenons plus sur les curiosités du coin et sur la neige omniprésente sur les sommets. Une photo sur Facebook publiée il y a une poignée de jours montre des congères de 5 mètres au passage d'un col !
Avant de partir au lit, la joyeuse bande se ligue contre moi pour me convaincre de rester ici une nuit de plus parce que Podgorica est une ville où il n'y a rien à faire "surtout si on ne boit pas". J'entends cet argument et d'autres plus touchants mais je sais également que j'ai un impératif : attraper le bus de vendredi soir pour la Croatie sans sacrifier en route les Bouches de Kotor. Je me laisse donc la nuit pour y réfléchir. Dans le dortoir, je conviens avec Sarah de faire un bout de chemin ensemble demain matin puisque nous avons à présent les mêmes objectifs de randonnées après la présentation faite par Alex et parce que mon bus ne part qu'à 13h. Quant aux finlandais, ils ont leur propre programme vu qu'ils ont une voiture.
Je viens de passer la meilleure soirée en solo en "auberge de jeunesse" parmi toutes celles que j'ai fréquentées en Europe parce que ses jeunes propriétaires se démènent pour nous comme pour des amis et non pas comme pour des clients. Si vous allez faire des randonnées dans le coin, je vous recommande particulièrement Hostel Hikers Den.